Des nouvelles de demain

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You felt it before seeing it. You could not name it, but it opened you to a whole new world of emotions. You thought you tamed it… unless it did tamed you.

C’était un monde sauvage. Sauvage pour toi. Parce qu’il t’était inconnu. Semblable à aucun autre que tu avais vu ou même imaginé. Un monde que tu ne pouvais même pas décrire par des mots. Tu n’en avais pas le vocabulaire. Tu ne pouvais que lui associer des sentiments.

 

La surprise.

Avant même de voir se dessiner ses formes montagneuses sur l’horizon plat, tu en avais senti la présence. Comme une compagnie insidieuse qui t’observait sans se manifester. Tu n’étais plus seul. Et cela t’avait laissé étrangement froid. Tu n’éprouvais aucune émotion à l’idée de cette présence tapie dans l’ombre, ni amie ni hostile, simplement neutre, simplement là.

Tu en avais senti les émissions. Comme si une respiration silencieuse remuait l’air autour de toi pour en modifier la composition. De nouvelles ondes parvenaient à tes sixièmes et septièmes sens que tu maîtrisais si mal. Ces sens supérieurs restaient en sommeil pendant des jours, ne s’éveillant que pour annoncer de grands changements quelques heures avant qu’ils n’arrivent. Tu ne les utilisais pas spontanément, mais les subissais quand ils s’imposaient à toi, trop intenses pour rester ignorés.

Puis cette présence s’était révélée à tes autres sens. Tu en avais senti les effusions. Des vapeurs odorantes inconnues et sans cesse changeantes te déboussolaient. Des mélanges d’air marins et forestiers, mais avec un piment en plus que tu ne savais nommer. Tu cherchas en vain dans ton répertoire d’épices quelle composition s’en rapprochait le plus.

Puis tu la vis.

Une masse aux formes indéfinies, posée sur l’horizon liquide et jaune. Ce nouveau monde semblait t’attendre. Il ou elle t’avait vu venir et s’offrait à toi pour cristalliser ta surprise.

 

La peur.

A mesure que tu t’approchais, l’appréhension grandit de ton estomac jusqu’à ta gorge, qui finit par se nouer. Tu compris pourquoi les formes de ce monde étaient insaisissables : elles se modifiaient continuellement, imperceptiblement. Ce que tu avais d’abord prit pour un une vallée entre deux montagnes s’était transformée en une paroi verticale érigée vers le ciel et encadrée de vide. Les montagnes étaient devenues des dépressions qui courraient à présent sur des kilomètres sous la surface transparente.

Qui était-elle pour déplacer ainsi des montagnes ? Animale, végétale ou minérale ? Car ce nouveau monde devait être une elle, sorcière ou magicienne, tu en étais certain. Vivante pour sûre. D’un niveau de conscience supérieur, ou bien au contraire impulsive et inconsciente ? Avait-elle un dessein, des intentions ? Certainement puisqu’elle t’avait suivi ou plutôt précédé pendant des jours.

Le ciel au-dessus de toi se chargea de lourdes formes grises. Des extensions de ce nouveau monde, qui se déplaçaient vers toi. Comme des bras qui cherchaient non pas à te saisir, mais à t’enrober tout entier d’une atmosphère oppressante et noire. Des artifices de plus en plus denses assombrirent ton horizon. Tu ne voyais presque plus rien. Un message, une alerte ? Ou un simple changement de temps, dû aux fluctuations de cette masse sur l’océan de sable ?

Quel pouvaient être ses intentions à ton égard ? Certainement pas amicales songeas-tu, sentant ton appréhension grandir en peur presque anémiante. Après tout, comment réagirais-tu, toi, face à une intrusion extérieure d’une forme inconnue ? Toi qui ne tolérais aucun insecte sur ta peau, aucun microbe dans ton corps. La comparaison était à l’échelle. Tu étais un parasite pour ce nouveau monde, un étranger qu’il n’avait pas convié et qu’il préférait sûrement voir disparaître plutôt que de lui laisser une chance de dégainer une arme secrète qui pourrait le mettre en danger.

Ta seule chance de survie, s’il y en avait une, était de prouver ton innocence. Te montrer humble et vulnérable. Tu hissas une grande voile blanche sur ton char des profondeurs, tu t’assis sur le sol, en signe de passivité résignée, et attendit.

 

L’émerveillement.

Tout devint très clair. Une lumière presque blanche t’enveloppa. Les formes du nouveau monde se rétractèrent et se figèrent en un simple îlot sur l’horizon. Devant toi s’étendaient à présent un tapis d’écume et quelques formes qui te semblèrent végétales, malgré leur couleur blanchâtre. Bien au contraire d’être nouveau, ce monde était très ancien. Nouveau peut être pour toi. Et à la fois bien plus vieux que tout ce que tu avais connu.

Tu restas assis sur ton char, contemplant cette forme rassurante qu’elle avait choisie en réponse à tes intentions pacifiques.

Elle était belle et simple. Epurée de toute couleur. Accueillante dans sa sauvagerie.

 

Le courage.

Quand le tableau qu’elle et toi offrait te sembla entièrement figé, tu osas lui redonner du mouvement. Tu sautas de ton char, traversa le tapis d’écume et t’avanças prudemment sur sa plage. Tu sentis alors comme une respiration te soulever doucement de terre. Tu t’accroupis et te figea à nouveau, tous tes sens en alerte. Sauf ces sixième et septième sens, qui ne détectèrent aucune menace. Tu respiras lentement, calquant le rythme de tes inspirations aux mouvements montants et descendants de son sol chaud. Ce fut comme entrer en symbiose avec son corps. Tu te sentis devenir une partie de cet ancien monde. Elle t’invitait à la découvrir, et à te dévoiler en retour.

 

L’envie.

Après quelques heures passées à vous familiariser l’un à l’autre, tu te sentis en territoire connu, peut être même conquis. Tu t’enhardis, d’abord en pensées.

L’envie te prit de devenir davantage qu’une infime partie de ce tout. Tu voulais te fondre dans son décor, accéder simultanément à tous ses recoins, devenir son tout. Aller te rouler dans son sable blanc, grimper le long de ses flancs et de ses troncs tout aussi blanc – peut-être y découvrirais-tu des fruits aux saveurs délicates pour assouvir ta faim et ta soif.

Déjà tu oubliais ce que tu avais appris d’elle, et ce dont elle était capable. Elle devint, à tes yeux trop humains, une jolie petite île statique à découvrir. Tu t’imaginas t’approprier son territoire et t’y établir.

Tu avais échoué son dernier test. Tu ne pouvais dépasser ton individualité.

 

La terreur

Si tôt que ces images de conquêtes s’imprégnèrent dans ton esprit, l’environnement changea autour de toi. Les colonnes que tu avais prises pour des arbres fondirent sur place, comme foudroyées par une chaleur irrésistible. Un petit cercle de sol autour de toi se souleva et grandit vers le ciel. Tu te retrouvas au sommet d’un piton rocheux, immobilisé dans les hauteurs. Tu entendis alors un bruit assourdissant. Un signal. Le sol en contrebas s’enfonçait dans l’étendue liquide. L’ancien monde s’effondrait sur lui-même, entraînant dans sa chute le visiteur qui avait rompu ses promesses.

Ton sang n’eut le temps de faire qu’un tour. Celui de ton corps. Tu vis se rapprocher sous toi le grand liquide jaune à pleine vitesse. Tu allais être aspiré dans un tourbillon de sable à des centainesd’unités de profondeurs. Tu n’aurais jamais assez d’air pour remonter à la surface. Il fallait sauter. Tu repéras ton char qui t’attendais ; un point minuscule qui résistait tant bien que mal aux vagues plus hautes que lui qui le balançaient en tous sens.

Tu attendis quelques secondes un moment propice qui ne viendrait probablement pas. Alors tu pris ce qu’il te restait de courage à deux mains et de l’élan dans les pieds. Tu fermas les yeux et sautas dans le vide.

 

Le regret.

Assis sur ton char, à l’abri des vents et des tempêtes, tu songeais à cet ancien monde disparu. Englouti. Par ta faute. Par des rêves de conquêtes, de pouvoir et de gloire qui n’étaient même pas les tiens.

Trahie par un visiteur qu’elle avait pris le risque d’accueillir sur son sol mouvant, elle avait préféré mettre fin à ses formes émergées. Elle s’était retirée de la portée des sens des étrangers.

Tu avais précipité la fin de ton nouveau monde. Mais tu espérais qu’elle avait survécu. Dans les profondeurs d’une mer jaune et des mémoires, elle devait mener une nouvelle phase de son existence, tout aussi paisible que la précédente.

Comment, ou plutôt pourquoi avais-tu survécu ? Peut-être pour souffrir davantage, et témoigner.

C’est toi qui, au fond, au fin fond des profondeurs, avais tout perdu.

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