Des nouvelles de demain

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How far can one go to take hold of the instant and remain present no matter what happens?

Continuer d’avancer, un pas après l’autre. Soutenir le rythme de sa course. Oublier ce point de côté. Rien ne dure, lui aussi passera. Il le savait par expérience. Son corps lui jouait des tours. Il pouvait l’emmener bien plus loin que ce qu’il voulait lui faire croire en cet instant. Changement de terrain. Une descente. Sauter par-dessus les racines, s’appuyer contre une pierre, enjamber un torrent. Oublié le point de côté. Envolée la douleur. Il se sentit voler.

 

Jusqu’à ce que les dénivelées s’inversent. Coup dur. Il imagina trop tôt la destination, perdue dans le lointain de la distance et du temps. Il pensa ne jamais pouvoir l’atteindre. Aussitôt pensé, le courage commença à le quitter, coulant lentement le long de ses mollets pour n’y laisser que la douleur qu’il avait projetée. Il allait avoir mal. Son genou ne tiendrait pas le coup. Dans quelques minutes, quand il ne lui resterait plus de courage, il allait souffrir.

Il se ressaisit et prit conscience de l’illusion qu’il se jouait à lui-même. Ses pensées ne pouvaient pas le blesser physiquement ; du moins tant qu’il ne les matérialisait pas. Il était encore temps de les renouveler. En faisant un meilleur choix.

Il s’écouta respirer. Sentit le vent contre son visage et l’odeur de l’air marin. Écouta le fracas des vagues sur les rochers. La falaise était proche. Retour à l’instant. Là, tout de suite, tout était bien. Oubliée l’arrivée, oublié le départ, occultés ses projets et sa mémoire. En faisant abstraction de toute pensées passées et futures qui l’éloignaient de son ressenti instantané, il dut reconnaître qu’il allait bien.

Son talon droit toucha le sol. Ses orteils suivirent. Rien à déclarer. Une inspiration. Son talon gauche décolla, ses orteils aussi. Il se sentit fort. Trois expirations. Figé dans le moment, tout était bien. Il était en pleine possession de son corps et de ses sensations. Rien d’autre ne comptait. Rien d’autre n’existait. Tout n’était plus que ressenti. Il s’était saisit de l’instant. La notion même d’effort avait disparu dans la singularité d’un instant volé à la ligne continue du temps.

 

Un obstacle mal appréhendé le ramena à l’irréalité. Il quitta l’instant pour retrouver le tourbillon de ses pensées conjuguées à tous les temps. Ne parviendrait-il donc jamais à rester pleinement présent ? Une vie dédiée aux pratiques de la pleine conscience, et le moindre imprévu avait toujours raison de ses efforts ? N’atteindrait-il jamais la paix aveugle du moment ?

 

Il avait bien pénétré certains secrets du présent, mais il échouait à y demeurer. Il songea qu’il lui faudrait s’affranchir de sa mémoire et de ses projections pour rester vivre en chaque instant. Renier la nature même de l’homme moderne, le produit de milliers d’années d’évolution. Ces capacités de mémorisation et d’anticipation qui ont permis à l’homme d’évoluer, d’apprendre de ses expériences pour s’adapter à son environnement, de proie devenir prédateur. Anticiper le danger pour mieux le fuir. Se souvenir des erreurs de la veille pour déjouer les pièges du lendemain. Le cadeau de l’évolution fait à l’esprit humain pour le différencier de l’impulsion animale :  l’abstraction.

 

Il comprit. En un déclic. Le coup fut brutal et lui coupa le souffle. Il lui en coûta l’espoir. Ne lui laissant que la résignation. La solution était aussi violente qu’évidente. Pour s’enfermer dans le présent, il devrait renoncer à sa capacité de projection. A son humanité.

 

Il songea que différents animaux avaient des capacités de mémorisation et d’anticipation plus ou moins développées. Un chien pleurait son maître en son absence, laissé à la douleur du manque. Une pieuvre pouvait ouvrir un bocal de ses tentacules pour en extraire de la nourriture. Combien de temps ces animaux passaient-ils dans les projections de leurs pensées, échappant eux-aussi au présent ?

Les moineaux avaient une petite cervelle, c’était bien connu. Certainement trop petite pour renfermer l’abstraction. Un oiseau serait parfait.

 

Il continua sa course mais changea sa direction. Son cœur cognait à lui briser la poitrine, stimulé par l’effort et excité par l’appréhension. Les papillons dans son ventre battaient de toutes leurs ailes pour digérer sa résolution.

Il accéléra vers la falaise. Comme s’il avait besoin d’élan pour fendre le vide. Et s’élancer.

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